40 ans de cinéma fait par des femmes en Afrique
Depuis que je me suis intéressée sur
le sujet des femmes africaines dans le cinéma au début des années 90, j'ai
toujours lu, et entendu, des interminables lamentations sur l’absence des
femmes et le manque de représentation crédible et positive, l'insuffisance de
finance, de soutien, et tous les autres malheurs du monde. Cela m’a amené à
faire une étude en utilisant une autre posture épistémologique. L’approche non
déficitaire repose les questions prenant en compte les potentiels et les atouts
et non pas les désavantages.
Masepeke Sekhukhuni directrice de la
Newtown Film and Television School à Johannesburg en Afrique du Sud tente de
retourner les défis à l’avantage. À l’époque quand l’équipement
cinématographique était encore lourd et encombrant, intimidant même pour
certaines femmes. Sekhukhuni essayait de les encourager en leur rappelant que
dans leurs propres tâches quotidiennes elles ont la force de soulever les
lourds seaux d’eau. De même, elles ont la connaissance nécessaire pour gérer
leur maison, ce qu’elle peuvent transférer à l’organisation de la production
cinématographique.
La Burkinabé Fanta Nacro est allée
jusqu’à l’acte pour dissiper les notions déficitaires de la compétence des
femmes dans le monde du cinéma, je la cite : « A l’époque où j’ai fait ce film
[Un certain matin, 1992], j’étais militante féministe à outrance. Dans les
écoles de cinéma, on orientait déjà plus les femmes vers ce que l’on
considérait des métiers « pour elles », comme le montage ou le script. Et cela
sous prétexte que nous avons des aptitudes dans ces domaines précis. La
réalisation et la camera étaient destinées voire réserves aux hommes. Pour mon
premier film, j’ai eu envie de réunir une équipe entièrement féminine pour
montrer que, quand on choisit un métier, on va jusqu’au bout et qu’on peut être
aussi compétente ou peut-être meilleure que les mecs ! »(1)
Au-delà des raisons pour lesquelles
elles ne réussissent pas, elles se découragent, ou n'osent même pas rêver, ce
qui m’a fascinée étaient les raisons pour lesquelles elles continuaient et
elles se passionnaient dans ce domaine. J’ai été intéressée de connaître les
réseaux de soutiens, les ressources, leurs mentors, et leurs références.
Quelles sont les circonstances de leurs réussites malgré ses litanies de défis
? Pour moi ce qui est également fascinant est de suivre leur trajet, de
regarder comment elles sont allée de là à là, et de s’interroger sur leur choix
et le pourquoi ?
La question que je postule comme
point de départ est « qu'est-ce qui fonctionne ? » au lieu de ce qui ne va pas.
« Qu’est-ce qu’elles ont à apporter ?», plutôt que pourquoi elles ne peuvent
pas faire du cinéma pour telle ou telle raison ?
Cette approche est beaucoup plus
représentative de leur réalité, dans des sociétés où les femmes ont toujours
fait preuve d’ingéniosité en toutes circonstances.
Je veux commencer par une
pré-histoire pour justement montrer cet esprit de réflexion et d’intelligence
qu’elles ont toujours eu.
Dans son récit, « le dit du cinéma
africain » Amadou Hampaté Ba, l’inimitable griot-historien relate
l'extraordinaire expérience de sa mère Kadidia Pâté et sa rencontre avec le
cinéma pour la première fois. Ce rendez-vous fascinant et édifiant avec le cinéma
nous fournit une introduction unique à une étude du cinéma africain au féminin.
Hampaté Bâ se rappelle comme garçon
de huit ans, la première projection en 1908 dans son village ancestral de
Bandiagara au Mali. Le gouverneur colonial avait ordonné aux marabouts
d'assister à une projection. Avec inquiétude envers ces « fantômes sataniques,
propres à tromper les fidèles » ils se sont réunis pour trouver une manière de
saboter cet événement.
Bien qu'elle n'assistât pas à la
projection, Kadidia Pâté, musulmane fidèle, s’était rallié à leurs
condamnations.
En 1934, poussé par l’insistance de
son fils et malgré l'interdiction toujours présente des marabouts, elle décide
finalement de l’accompagner au cinéma. Quelque temps après la projection, elle
lui relate l’événement ainsi:
« Lorsque nous sommes entrés au
cinéma, avant la projection, tu m'as montré une grande toile blanche sur
laquelle devaient venir se projeter des faisceaux de lumière qui deviendraient
des images que nous pourrions alors regarder et distinguer. Tu m'as également
montré une maisonnette située assez haut par rapport à nous. Tu m'as dit que
c'était dans cette petite pièce qu'était installée la machine qui « crache les
images ».
Cette maisonnette est percée de
quelques ouvertures par lesquelles jaillissent des jets de lumière qui
s'arrêtent sur le grand pagne blanc. Dès
que l'opérateur que nous ne voyions pas commença son travail, des rayons
lumineux accompagnés de quelque bruit s'échappèrent de la maisonnette. Ils
passaient par-dessus notre tête, alors que nous étions plongés dans l'obscurité
profonde, allégorie de notre ignorance.
La lumière sortait de la
maisonnette, non pas dans sa totalité, mais par minces filets, c'est-à-dire par
portions mesurées. Nous faisions face au
grand pagne blanc. C'est seulement en le regardant que nous pouvions nettement
voir, distinguer et comprendre les images qui se déroulaient. On pouvait voir
des chevaux courir, des hommes marcher, des villages se profiler. On voyait la
brousse épaisse, la campagne fleurie, la plaine qui dévale. Tout cela comme
dans un long rêve, clair et précis, un rêve fait en état de veille.
Après avoir longtemps contemplé le
grand pagne, je voulus, sans lui, percevoir directement et rien que par mes
yeux les images qui, sûrement, sortaient de la maisonnette. Alors, que
m'arriva-t-il ? Dès que je me tournai directement vers les ouvertures de la
maisonnette, les faisceaux lumineux qui s'en échappaient m'aveuglèrent. Bien
que les images fussent virtuellement dans les rayons, mes yeux n'étaient pas
assez puissants et efficaces pour les y déceler.
Je fermai alors les yeux, comme pour
me concentrer intérieurement ; mes oreilles continuaient à percevoir nettement
les sons qui accompagnaient les jets lumineux.
Je me suis trouvée dans la situation
suivante : Primo, quand je me sers du
grand pagne blanc, je vois les images et j'entends les sons. J'ai un double
bénéfice.
Mais, secundo, quand je me sers
directement de mes yeux, je n'entends que des sons ; je supporte mal la
lumière, elle m'aveugle. D'où à la fois un bénéfice et un inconvénient. Cette conjoncture m'amène à conclure
qu'autant le grand pagne est indispensable pour la vision nette des images et
le discernement de l'origine des sons, autant un intermédiaire est nécessaire
entre nous et Dieu, pour comprendre le message divin. »
Pourquoi ce long extrait de la
prè-histoire de l’engagement de la femme africaine dans le cinéma ?
Je me permettrai d’utiliser cette
citation comme une métaphore pour un cinéma triangulaire, pour emprunter un
concept développé par Haile Gerima : un dialogue entre la cinéaste, la
critique, et le public. Je vois que
cette intersection entre ces trois acteurs est en quelque sorte notre objectif
dans ce colloque.
Le dit de Kadidia Pâté est une
inspiration très profonde pour moi. Il est non seulement étonnant d’avoir la
chance de disposer de ce récit par une africaine d’un événement qui fait partie
de la pré-histoire du cinéma africain, mais cette narration la met au centre de
l’histoire de la femme africaine dans le cinéma, et au centre de la critique
cinématographique.
Kadidia Pâté comme on peut le voir,
a présagé la pratique chez des cinéastes africains et africaines, de développer
l’imaginaire en fermant les yeux : comme le dit le grand Djibril Diop Mambety.(2)
Combien de fois entendions-nous, les anciens et les anciennes du cinéma
africain, parler de leur expérience du cinéma pendant leurs enfances où les
chevaux courraient et les gens marchaient en silhouette derrière un pagne
blanc. Ou en fermant les yeux ils et elles envisageaient des villages se
profiler, la brousse épaisse, la campagne fleurie, la plaine qui dévale—tous
des ingrédients pour faire un film.
La méfiance en 1908 de Kadidia Pâté
comme jeune femme il y a plus de cent ans, transformée 25 ans plus tard quand
elle a enfin assistée au cinéma, est un baromètre de l’évolution des femmes
africaines dans le cinéma, et aussi les femmes dans les pays où l’Islam est la
religion dominante. Quelque 30 ans après
en 1934, Thérèse M’Bissine Diop du Sénégal et Zalika Souley du Niger, toutes
les deux comédiennes pionnières en 1966, ont du subir les épreuves à cause de
leurs envies de suivre une profession qui les passionnaient.
L’Ivoirienne Naky Sy Savane,
petite-fille d’imam a dû à son tour dans les années 80 confronter une société
qui croyait encore qu’une comédienne est une femme de mœurs légères. De nos
jours, Nadia El Fani en tant que cinéaste voulait contester une société dans
laquelle une religion impose sa loi aux citoyens qui croyaient à un autre dieu
ou bien, ne croyait en rien du tout.
Se confronter à des sociétés qui
résistent à s’ouvrir au monde est une énorme épreuve, mais comme disait
Burkinabé Aï Keïta, qui a interprété le rôle de la reine Sarraounia de Med
Hondo (1987), au fur et à mesure les gens les acceptaient comme artistes,
sachant qu’elles contribuaient à la promotion de la culture dans leur pays.
Une autre raison pour laquelle
j’introduis ce discours en convoquant Kadidia Pâté est de montrer la lignée
continue de la présence des femmes dans la longue histoire cinématographique
couvrant plus d’un siècle vers l’historiographie contemporaine dont, depuis 40
ans, les femmes d’Afrique sont activement engagées.
Et sur ce continuum, parsemé de
pauses, elles ont poser les jalons du cinéma africain.
Issu pendant les mouvements des
indépendances en Afrique des années 50 et 60, le cinéma africain s’est
réapproprié la caméra comme un outil pour lutter contre le regard colonialiste
qui jusqu’alors a dominé les représentations de l'Afrique. L'émergence des
femmes dans le cinéma africain a coïncidé avec cette période naissante au cours
de laquelle un groupe de professionnelles du cinéma se sont positionnés pour la
création d'une véritable culture cinématographique africaine. Notamment la
pionnière de la culture médiatique sénégalaise, Annette Mbaye d'Erneville,
féministe, journaliste, écrivaine, spécialiste des communications,
média-activiste et critique de la culture. La première personne au Sénégal à
obtenir un diplôme en journalisme, rentrée au pays après ses études à Paris,
elle s’y est mise au travail, éventuellement animant un programme radiophonique
sur le cinéma—une pratique que l’on voit plus tard avec la Congolaise Monique
Phoba, qui deviendra cinéaste, et inversement avec Zara Mahamat Yacoub, aussi
cinéaste qui au présent est présidente de l’association des radios privées et
dirige les programmations radiophoniques au Tchad.
Annette Mbaye d'Erneville a consacré
sa vie à la politique culturelle du pays et a forgé des institutions
importantes telles que l'Association Sénégalaise de la Critique
Cinématographique, RECIDAK (Rencontres Cinématographiques de Dakar),
l’Association Sénégalaise des Critiques de Cinéma et de la Maison de la femme
Henriette Bathily, et comme le montre le film Mère-bi sur sa vie, réalisé par
son fils Ousmane William Mbaye, elle continue encore aujourd’hui.
De même, la guadeloupéenne Sarah
Maldoror, une diasporane déjà avec un esprit panafricain, s’est réunie à Paris
avec des artistes venus d'Afrique et des Antilles au cours d'une intense
période de découverte culturelle, intellectuelle et politique. La contribution
de Sarah Maldoror au cinéma africain lusophone et au cinéma de libération en
Afrique est magistrale. Dans les années 60, elle se rend à Moscou pour étudier
le cinéma. Ayant déjà été active dans les mouvements pro indépendances, ce
n’est donc pas étonnant que ses films épousent aussi les thèmes
anticolonialistes.
Maldoror a toujours travaillé à
l'intersection de la libération africaine et de la femme et est une mentor et
une référence pour de nombreuses réalisatrices, notamment la cinéaste
Anne-Laure Folly du Togo, dont son film Sarah Maldoror ou la nostalgie de
l'utopie retrace sa vie en tant que cinéaste engagée.
De même, les expériences d'Annette
Mbaye d'Erneville et de Sarah Maldoror ressemblent à celles des autres
étudiants et artistes vivant à Paris à l’époque d'une conscience élevée, comme
la trinité de négritude, Senghor, Césaire, et Damas, de l'Afrique et la
diaspora, qui se sont réunis pour confronter les problèmes politiques
importants, utilisant la culture comme arme.
Après l'indépendance l'appel devient
un cri du coeur et le rôle de la culture serait un outil important pour mettre
en évidence les contributions africaines à une échelle mondiale. En 1966, six
ans après son indépendance, le Sénégal se positionne sur l’arène mondiale
lorsque son poète-président Léopold Sedar Senghor accueille le premier festival
international des arts nègres. La jeune enseignante Safi Faye était la guide
officielle pendant la célébration, une expérience sans doute qui ouvrirait ses
yeux à l'importance de la culture et les arts africains dans le monde.
De même, le travail de Thérèse
Sita-Bella et Efua Sutherland (toute deux décédées) témoigne des premières
contributions cinématographiques des femmes. La Camerounaise Sita-Bella produit
Tam Tam à Paris en 1963, un reportage filmé de 30 minutes sur le tour de la
Compagnie nationale de danse du Cameroun, projeté au premier FESPACO en 1969.
Dramaturge et écrivaine, la Ghanéenne, Efua Sutherland produit en 1967 le
documentaire Arabia : l’histoire du village, en collaboration avec la compagnie
de télévision américaine ABC. Bien qu’elles n’aient réalisés qu’un seul film
chacune, leur trajectoire reflète celle de beaucoup d’Africaines qui lient le
cinéma avec d’autres carrières et d’autres intérêts—sociales, politiques, et
culturelles.
Telles que Anne-Laure Folly, juriste
internationale et Tsitsi Dangarembga, écrivaine. Dans le Maghreb et la diaspora
en France, les femmes posaient leurs premiers pas qui prendront leur plein élan
dans les années 70. En 1968, la tunisienne Moufida Tlatli s’aventure en France
pour étudier le cinéma et se rend compte qu’à cette époque, les femmes étaient
dirigées vers des cursus de montage au lieu de ceux de réalisation et de
cinématographie, ce qu'elle décide de suivre avec beaucoup de plaisir tout en
se formant comme cinéaste, ce qui l'amène à faire son premier film Le silence
du palais en 1994. Arrivée en France comme jeune adulte en 1960, la Marocaine
Izza Genini s'engage rapidement dans la vie culturelle : un festival, un
ciné-club et la création de sa société de production et distribution en 1973.
De même, Assia Djebar, écrivaine algérienne renommée depuis les années 60 et
élue à l'Académie française en 2005, fait une pause du monde de la littérature
pour rentrer dans le paysage d'image-son avec son film La Nouba des Femmes du
Mont Chenoua en 1978.
Au début de la professionnalisation
du cinéma en Afrique, établie dans les années 60 avec la création des
institutions emblématiques, le FESPACO (Festival panafricain du cinéma de
Ouagadougou) et la FEPACI (Fédération panafricaine des cinéastes) les femmes
étaient au premier plan. Bien que d'autres institutions aient émergé depuis,
elles restent une référence pour la coopération et l’organisation continentales
dans le domaine culturel. Zalika Souley, l'actrice pionnière du Niger, a siégé
au comité fondateur de la FEPACI, tandis que la Burkinabé Alimata Salembéré,
l'une des membres fondateurs du FESPACO, a présidé le comité d'organisation de
la première édition du festival dont sa compatriote Odette Sangho a également
été membre.
Accordant une attention planétaire sans
précédent sur la femme, les années 70 lancent un appel à l'action dans toutes
les sphères de la vie des femmes; dont (1975-1985) la Décennie des Nations
Unies pour la femme a été le cadre.
Ce qui évolue à un mouvement
universel pour la protection des droits des femmes et un mouvement
international de militantisme féministe, et à jouer un rôle prépondérant à la
sensibilisation à travers le continent. Par la suite dans les années 80, de
nombreuses africaines ont réitéré les thèmes de la Décennie dans leurs films
qui sont axés sur l'autonomisation de la femme, mettant en exergue une vision
féminine sur le développement économique, social et culturel.
Suivi de la maturation de la
deuxième vague du féminisme qui influencera (1) le développement des études
féminines dans l’Académie, (2) la théorie féministe du cinéma et (3) une
analyse critique de la représentation visuelle de la femme. À partir de cette
décennie déterminante émerge une présence durable des cinéastes africaines. La
pionnière Safi Faye se rappelle dans les années 70 à Paris, étant la première
Africaine à entrer à l'École nationale supérieure Louis-Lumière, la curiosité
autour de sa présence à cette prestigieuse école de cinéma.
Les années 80 ont également connu
une croissance marquée dans la production cinématographique faite par des
femmes. Beaucoup de la première génération de femmes burkinabés, notamment
Fanta Régina Nacro, Valérie Kaboré et Aminata Ouedraogo ont franchi les portes
de l’INAFEC, l'Institut Africain d'Education Cinématographique, l’école
historique basée au Burkina Faso de 1976 à 1987.
Cependant en Afrique de l’Est, les
premières vagues de kenyanes professionnelles du cinéma commencèrent à étudier
dans la fin des années 80 au Film Training Department au Kenya Institute of
Mass Communication. Comme le confirment les observations de la chercheuse
kenyane Wanjiku Béatrice Mukora, celles-ci jouèrent un rôle déterminant dans la
formation d'un cinéma national au Kenya.
Cette tendance s’est répandue dans
d’autres régions, notamment en Afrique australe. Au Zimbabwe dans les années 90
un cadre de femmes professionnelles du cinéma s’est formé autour de
l’organisation Women Filmmakers of Zimbabwe. En 2001 elle lance un festival du
film pour les femmes, et en 2009 elle crée le prix de la Distinguished Woman in
African Cinema.
De même, les années 90 témoignent
d’un renforcement des réseaux et d’une présence visible à l'échelle
continentale et internationale. Ayant déjà développé un cadre d'action au «
Colloque Images de Femmes » à Vues d'Afrique à Montréal en 1989, un mouvement
organisé émerge. La 12ème édition du FESPACO en 1991 a marqué un moment
historique pour les Africaines dans les médias visuels, forgeant une
infrastructure pour l'association qui de nos jours est connu comme l'Union
Panafricaine des Femmes Professionnelles de l'Image. La réunion continentale,
présidée par Annette Mbaye d'Erneville, esquisse les objectifs clés, suivants,
que l’on retrouve, d’ailleurs, dans d’autres organisations de femmes :
-fournir un forum pour que les
femmes puissent échanger et partager leurs expériences ;
-faire en sorte que les femmes aient
l'égalité d'accès à la formation et la
production ;
-reconnaître les préoccupations des
femmes professionnelles ;
-assurer une représentation visuelle
des femmes plus réaliste ;
-donner les moyens de transmettre
leur point de vue.
Depuis ce moment emblématique, les
projets initiés par les femmes à travers le continent s'étendant jusqu'à la
diaspora pour la promotion du cinéma africain, et l'organisation des
infrastructures cinématographiques, ont pris de l'ampleur.
Bien que toutes ces initiatives
n'ont pas pu toujours atteindre leurs objectifs, leur présence encourageante
indique leur souhait de créer des structures soutenantes et accessibles pour la
promotion du cinéma africain, et d'autonomiser les professionnelles dans le
cinéma en particulier.
Paradoxalement, pendant les années
après la Décennie de la femme, la deuxième vague du féminisme a commencé à
décliner, avec un discours post-féministe déclarant que celui-ci avait atteint
son objectif d'éradiquer le sexisme.
En fait, plutôt que paradoxal, ce
déclin est vraisemblablement la conséquence de ses rencontres, voire
confrontations, multiculturelles pendant la Décennie, dont un discours
contestataire chez les femmes de couleur à travers du monde émerge en réponse à
l'hégémonie du féminisme pratiqué par les femmes blanches et la domination sur
le discours, la recherche et la production des connaissances.
De même, un féminisme considéré
élitiste voire ethnocentriste et même raciste fait émerger une troisième vague
conceptualisée déjà dans les années 80. Celle-ci mise en place au début des
années 90 par la nouvelle génération est en rupture avec les stratégies de
lutte et le questionnement sur l’aspect essentialiste de la deuxième vague, et
se confronte avec les problèmes du monde actuel, bien différents des années 70
et 80.
Ses exemples qui décrivent la
rupture et la continuité à travers les générations me font aussi penser à la
table ronde : l’Engagement des femmes cinéastes au Pavillon des Cinémas du Sud
au Festival de Cannes en 2008.
La vétéran cinéaste Moufida Tlatli a
raconté son expérience en tant que jeune étudiante en 1968 à l'IDHEC l'École
Nationale Supérieure des Métiers de l'Image et du Son à Paris, à une époque où
les femmes étaient dirigées vers une carrière de monteuse ou de script, ou bien
comme on disait à l’époque et encore aujourd’hui, la « script-girl ». Ses
homologues plus jeunes parlaient des expériences très différentes, bien plus à
l’égalité avec leurs homologues masculins.
L'aspect le plus édifiant de la
discussion était le contexte intercontinental sur la pluralité des expériences
à travers les générations, les ethnicités, la culture et la positionalité. Les
récits personnels et les héritages post-coloniales faisaient partie d’une
conversation très engageante parmi les femmes du Sud en général et les femmes
d’Afrique en particulier, mettant en évidence une volonté sincère de se
confronter avec des problèmes complexes. En dépit de l'écart d’expériences
entre les générations en tant que cinéaste, les pratiques actuelles font écho à
bien des égards à celles des premières générations. Par exemple, les études
féministes du cinéma émergentes dans les années 70 étaient centrées sur
l’analyse des « femmes et le cinéma » comme point de départ.
Alors que Safi Faye qui est de cette
époque a toujours maintenu une position neutre, comme elle le dit : « je ne
fais pas une différence entre un homme comme Safi ou une femme comme Safi ». Ce
qui reflète les sentiments actuels de Osvalde Lewat venant de cette nouvelle
génération de cinéastes, qui remet en question la précision du genre lorsqu'on
parle de la réalisatrice comme une « femme cinéaste » dans le titre du colloque
à Cannes « l’Engagement des femmes cinéastes ».
Néanmoins ces colloques qui mettent
l’accent sur les femmes, ainsi que la société de distribution emblématique «
Women Make Movies » basée à New York, existent parce que les réalisatrices
n’ont pas encore brisé le plafond de verre!
Le cinéma(s) africain(s) lui-même un
phénomène post-colonial, qui a émergé en tandem avec les indépendances
africaines, a toujours existé dans un cadre transnational. Partant d'une
approche post-coloniale, les films traitent les tensions entre les traditions
africaines et l'occidentalisation, le re-cadrement de la version coloniale de
leur histoire, et la politique d'identification.
À ce regard, La Noire de...
d'Ousmane Sembene sorti en 1966 a déjà commencé à travailler sur les thèmes
postcoloniaux. Le film examine le trauma psychologique d'une jeune sénégalaise
lorsqu'elle se trouve disloquée dans un milieu Européen étranger, dont elle ne
parle pas la langue du pays, est isolée sans ressource ni recours. De même, les
premiers films des femmes ont postulé la postcolonialité dans leurs intentions
simultanément dans un contexte transnational.
Une génération plus tard, les
réalisatrices africaines continuent à travailler à travers leurs identités
multiples dans leurs films. Certaines sont métisses, ayant des parents de deux
races différentes, donc ces problématiques de leur double identité sont
abordées dans leur travail. D’autres ont la double nationalité ou résident en
tant que résidentes permanentes et confrontent les problèmes d’intégration, et
les complexités d’identité étant nées de la première génération dans leur pays
diasporique.
Selon la notion de la «
double-conscience » de l’intellectuel américain W.E.B. Dubois, à laquelle
l'afro-américain devrait faire face : Être au même temps noir et américain. La
cinéaste Ghanéenne-Americaine Akosua Adoma Owusu négocie ce qu’elle décrit
comme une triple conscience de l’Africaine immigrée aux Etats-Unis : (1) elle
doit s’assimiler à la culture américaine « mainstream » (2) elle est identifiée
aux afro-américains par la couleur de sa peau, mais elle ne s’identifie pas
toujours à leur culture et leur histoire, et (3) elle doit faire face au monde
africain et son propre héritage ethnique. (3)
Les cinéastes africains ont
longtemps insisté d'être cinéaste point, et dans le cas des réalisatrices, de
ne pas avoir à porter aussi l'étiquette de femme. Safi Faye par exemple a
toujours tenu à ceci, même si ses films sont thématiquement africains. Lorsque
la notion de cinéma transnational prend de l’ampleur, la nonidentifiabilité de
la nationalité de la cinéaste est de plus en plus remarquée.
En outre, l’Afrique n’est pas
toujours le sujet traité par les cinéastes qui résident en occident d’autant
plus que les Africains ne sont pas toujours inclus comme personnage dans leurs
films. Ces films ainsi que leur esthétique sont-ils exclus du discours sur le
cinéma africain ? Sont-ils réadmis dans la conversation lorsqu’ils parlent de
l’Afrique? De plus, la pratique du cinéma sans frontière par de plus en plus de
cinéastes, repose la question sur la catégorisation d'un film selon la
nationalité du cinéaste.
De même certaines cinéastes et
professionnelles d'Afrique du Sud d’origine
Européenne, Indienne, et Malaisienne
affirment leur identité africaine et réclament leurs expériences comme une
partie de l'histoire du continent montrant le désir d'être inclues au dialogue,
même quand les thèmes de leurs films visent sur les gens ayant des origines non
africaines.
L’Afrique est un vaste continent
avec des langues diverses, ainsi que des histoires sociales et politiques, des
spécificités géographiques et démographiques, des pratiques culturelles ainsi
que des confessions disparates. Par ailleurs les frontières s'étendent à une
diaspora globale engendrant une pluralité de pratiques cinématographiques.
En plus, cette trans-nationalité
avec ses identités voyageantes, ses chez-soi flottants, est de plus en plus
présente et donc demande une redéfinition du cinéma d'Afrique au féminin ainsi
qu'une renégociation de la positionalité, du contexte social, et de la
subjectivité, non pas seulement en termes de réalisation cinématographique mais
aussi par rapport à leur publique.
De même, ces transmutations
soulignent que les cinémas et les pratiques cinématographiques ne sont pas
monolithiques et donc les discours sur les femmes africaines dans le cinéma
reposeront sur la pluralité de ces histoires cinématographiques embrassant
l'intersectionalité d'identifications trans/nationales et raciales et les
spécificités ethniques et culturelles.
J’ai ouvert cette présentation en
soulignant que mon objectif était d‘utiliser une approche non déficitaire en
montrant les expériences positives, optimistes et encourageantes. Je veux
conclure dans le même esprit. Comme a déclaré Sarah Maldoror: « La femme
africaine doit être partout. Elle doit être à l'image, derrière la caméra, au
montage, à toutes les étapes de la fabrication d'un film. C'est elle qui doit
parler de ses problèmes. »
Les africaines pionnières et leaders
dans le cinéma africain forment une liste impressionnante. La présence de
celles-ci dans la chronologie du cinéma africain témoigne de l'héritage
qu’elles laissent en tant que modèles, mentors et activistes, ouvrant la voie à
d'autres femmes qui les suivent.
Je veux clore avec un esprit que
Safi Faye appelle féminisant, de défendre le cas des femmes, tout en les
gardant dans le contexte de leur société.
Plutôt de voir ce constat comme une
contradiction en parlant des femmes transnationales, il est pris dans son temps
actuel comme une continuité des expériences et notions d’identité et de la
positionalité de l’africaine par rapport au cinéma tout au long de son
histoire.
À l’instar de l’admirable Kadidia
Pâté concluons cette présentation et ouvrons ce colloque avec l’objectif « de
voir, discerner, comparer et tirer une leçon » un exercice qu’elle a fait avec
une habilité extraordinaire.
(1) Fanta Nacro : l’espoir au
féminin par Bernard Verschueren : le Courrier le magazine de la coopération au
développement ACP-UE N° 190 janvier- février 2002.
(2) Sinemaabi : Djibril Diop
Mambety.
(3) Akosua Adoma Owusu Website
(4) Jadot Sezirahiga. Sarah Maldoror
: "Il faut prendre d'assaut la télévision". Ecrans d'Afrique 12:
1995.
Source: Centre pour l'étude et la
recherche des femmes africaines dans le cinéma
Text par Beti Ellerson
Colloque: Les réalisatrices africaines francophones: 40 ans de cinéma (1972-2012)
Paris, 23 et 24 Novembre 2012.
Paris, 23 et 24 Novembre 2012.
© Beti Ellerson 2004-2013
Center for the Study and Research of African Women in Cinema | Centre pour l'étude et la recherche des femmes africaines dans le cinéma
www.africanwomenincinema.org
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