Espace, mémoire et image
miroirs (série), 2016 photographie couleur et miroir 20 x 30 cm chaque- pièce unique © Barbara Noiret |
Barbara Noiret, artiste et réalisatrice née en 1976,
habite et travaille à Paris. Après des études à l’École supérieure des
Beaux-Arts du Mans et d’Angers, ses œuvres in situ - photographie, vidéo,
sculpture, performance et installation - nous révèlent que Barbara Noiret ne se
limite pas à un seul cadre ; elle croise les disciplines artistiques selon
chaque projet. Dans ses interventions in situ, elle convoque la mémoire des
lieux qu'elle investit en lien avec l'architecture et la dimension humaine et
sociale.
Qu’est-ce que l’art ?
« L’œuvre art
répond à cette définition aussi facile à énoncer que difficile à comprendre :
avoir survécu », disait Malraux.
Je n’ai pas la prétention de définir l’art mieux que les philosophes et
intellectuels s’y sont penché bien avant moi ; à mon sens, l’art permet de
réfléchir sur le monde qui nous entoure. Du monde que nous n’avons pas eu la
chance de connaître, il nous reste les œuvres d’art et les livres.
Pourquoi avez-vous choisi de vous exprimer artistiquement
?
Enfant, j’ai toujours dessiné, bricolé dans ma chambre. Lorsque je crée,
j’éprouve beaucoup de plaisir. J’aime l’idée de participer à la construction du
monde, à ma petite échelle. Aussi, je suis bien plus à l’aise avec la matière
qu’avec les mots.
Quel rôle pensez-vous que l'art joue dans la société
d'aujourd'hui ?
L’art rassemble les cultures, confronte les idées. L’artiste est souvent précurseur de son temps, il imagine des éléments de réflexion sur les questionnements et inquiétudes du monde qui l’entoure. Depuis une dizaine d’années, de plus en plus d’entreprises font appel à des artistes pour se confronter à leur point de vue sur leur univers entrepreneurial souvent normé.
L’art rassemble les cultures, confronte les idées. L’artiste est souvent précurseur de son temps, il imagine des éléments de réflexion sur les questionnements et inquiétudes du monde qui l’entoure. Depuis une dizaine d’années, de plus en plus d’entreprises font appel à des artistes pour se confronter à leur point de vue sur leur univers entrepreneurial souvent normé.
Vous avez beaucoup travaillé avec des jeunes et des
enfants. Quels sentiments avez-vous au sujet de leur attitude à l'égard de
l'art ?
La jeunesse est l’avenir du monde, ce sont les prochaines générations qui créeront de l’art, voteront et feront les lois de demain. Je me sens investie auprès de cette jeunesse, noyée par les écrans, le virtuel et la pauvreté intellectuelle qu’on leur propose à la télévision par exemple. Je travaille en réaction contre cela, je tente de leur donner une nouvelle impulsion, de les inviter à rêver, à se projeter au delà des clichés imposés par notre société et les médias. Les enfants sont, au premier abord, empreints de ces clichés, je tente donc de les emmener ailleurs. Lorsqu’un un enfant perçoit cet ailleurs mené par la réflexion et les valeurs qui me sont chères, je me sens utile.
La jeunesse est l’avenir du monde, ce sont les prochaines générations qui créeront de l’art, voteront et feront les lois de demain. Je me sens investie auprès de cette jeunesse, noyée par les écrans, le virtuel et la pauvreté intellectuelle qu’on leur propose à la télévision par exemple. Je travaille en réaction contre cela, je tente de leur donner une nouvelle impulsion, de les inviter à rêver, à se projeter au delà des clichés imposés par notre société et les médias. Les enfants sont, au premier abord, empreints de ces clichés, je tente donc de les emmener ailleurs. Lorsqu’un un enfant perçoit cet ailleurs mené par la réflexion et les valeurs qui me sont chères, je me sens utile.
En ce sens, je trouve très intéressant votre projet dans
le quartier des Pyramides. Pourriez-vous nous parler de ce projet pluridisciplinaire?
Invitée par le Domaine départemental de Chamarande en 2011, j’ai réalisé une résidence au collège Les Pyramides à Evry, pendant deux ans. Cette invitation a été motivée par ma spécificité à travailler in situ. Ma démarche consiste à prendre en compte le contexte - social, humain, patrimonial, commercial, privatif – des lieux que j’investis.
40% de la population d'Evry est âgée de moins 25 ans ; la plupart des jeunes, et notamment les élèves du collège, s'identifient à la culture hip-hop et écoutent du rap. Les financements favorisent les structures musicales institutionnelles, alors que les établissements producteurs de rap sont délaissés ou ignorés. J’ai souhaité partir de ce qui animait ces jeunes, et qui intimide les habitants pionniers, associant naïvement le rap à la délinquance.
Au tout début du projet, j’ai sollicité le rappeur Nidraj pour composer une musique rap originale. Sa partition a ensuite été réinterprétée dans d’autres styles musicaux, représentatifs de la diversité culturelle de la ville : rap écrit et interprété par les collégiens des Pyramides, chant lyrique à la maison de retraite Les Tisserins, sound painting avec le conservatoire d’Evry, percussions africaines avec des enfants de 5-6 ans d’une maison de quartier, musique traditionnelle turque avec une association et musique world avec le groupe Harold en duo avec Ask’em.
La partition classique est souvent samplée par les musiciens de rap ; ici la pratique du sample est inversée. Le passage des partitions d'un registre à un autre et le bouleversement des conventions en règle générale, m’intéresse particulièrement.
Le film décrit un parcours urbain et met en scène ces musiciens professionnels et amateurs, issus d'associations et de structures éducatives ou artistiques d’Evry : l’architecture riche et contrastée de la ville – où se côtoient l’étonnante cathédrale de Mario Botta, la gare RER, un jardin zen au coeur du béton, un immense centre commercial et le quartier des Pyramides – a déterminé la déambulation des musiciens. D’autres séquences du film sont liées à des installations réalisées spécifiquement pour le tournage: l’architecture est mise en perspective par le biais de la projection vidéo et du « trompe-l’oeil », propre à ma démarche.
A ce jour, ce film qui a réuni 103 acteurs et musiciens de 5 à 98 ans, est la plus belle aventure humaine et artistique que j’ai menée.
Invitée par le Domaine départemental de Chamarande en 2011, j’ai réalisé une résidence au collège Les Pyramides à Evry, pendant deux ans. Cette invitation a été motivée par ma spécificité à travailler in situ. Ma démarche consiste à prendre en compte le contexte - social, humain, patrimonial, commercial, privatif – des lieux que j’investis.
40% de la population d'Evry est âgée de moins 25 ans ; la plupart des jeunes, et notamment les élèves du collège, s'identifient à la culture hip-hop et écoutent du rap. Les financements favorisent les structures musicales institutionnelles, alors que les établissements producteurs de rap sont délaissés ou ignorés. J’ai souhaité partir de ce qui animait ces jeunes, et qui intimide les habitants pionniers, associant naïvement le rap à la délinquance.
Au tout début du projet, j’ai sollicité le rappeur Nidraj pour composer une musique rap originale. Sa partition a ensuite été réinterprétée dans d’autres styles musicaux, représentatifs de la diversité culturelle de la ville : rap écrit et interprété par les collégiens des Pyramides, chant lyrique à la maison de retraite Les Tisserins, sound painting avec le conservatoire d’Evry, percussions africaines avec des enfants de 5-6 ans d’une maison de quartier, musique traditionnelle turque avec une association et musique world avec le groupe Harold en duo avec Ask’em.
La partition classique est souvent samplée par les musiciens de rap ; ici la pratique du sample est inversée. Le passage des partitions d'un registre à un autre et le bouleversement des conventions en règle générale, m’intéresse particulièrement.
Le film décrit un parcours urbain et met en scène ces musiciens professionnels et amateurs, issus d'associations et de structures éducatives ou artistiques d’Evry : l’architecture riche et contrastée de la ville – où se côtoient l’étonnante cathédrale de Mario Botta, la gare RER, un jardin zen au coeur du béton, un immense centre commercial et le quartier des Pyramides – a déterminé la déambulation des musiciens. D’autres séquences du film sont liées à des installations réalisées spécifiquement pour le tournage: l’architecture est mise en perspective par le biais de la projection vidéo et du « trompe-l’oeil », propre à ma démarche.
A ce jour, ce film qui a réuni 103 acteurs et musiciens de 5 à 98 ans, est la plus belle aventure humaine et artistique que j’ai menée.
Film Orchestre(s) © Barbara Noiret |
Film Orchestre(s) © Barbara Noiret |
Orchestre(s) est un film expérimental de 28 minutes réalisé dans le cadre de la résidence proposée par le domaine départemental de Chamarande au collège des Pyramides , Evry, de 2011 à 2013.
En fait, vous travaillez la photographie, vidéo,
sculpture et l'installation. Mélanger les techniques, est-ce une manière de
repousser les limites ?
Cette mixité des médiums est liée à ma pratique contextuelle ; à chaque projet, je créé en relation avec la mémoire des lieux, l’architecture et ses différents usagers.
Cette mixité des médiums est liée à ma pratique contextuelle ; à chaque projet, je créé en relation avec la mémoire des lieux, l’architecture et ses différents usagers.
Je me définis davantage comme une artiste de l’image : la photographie,
la vidéo et la projection d’images que je pratique depuis près de 20 ans.
Dans vos sculptures, vous travaillez beaucoup avec des
objets. Il y a t-il une volonté de transformation de la réalité, de
questionnement, peut-être, ou pour exprimer un point de vue différent ?
La projection – diapositive, vidéo – a toujours été présente dans ma pratique, ainsi, travailler avec des sculptures lumineuses ou en référence avec la lumière m’apparaît comme une suite logique.
La projection – diapositive, vidéo – a toujours été présente dans ma pratique, ainsi, travailler avec des sculptures lumineuses ou en référence avec la lumière m’apparaît comme une suite logique.
espace à emporter, 2003 gravure sur ampoule diamètre : 12 cm collection privée, Paris pièce réalisée sur commande, à chaque fois unique © Barbara Noiret |
Par exemple, "Espace à emporter" rassemble en une seule
sculpture les différentes expérimentations que je mène : photographie,
projection et sculpture. Si vous avez la nostalgie de votre home sweet home,
vous pouvez dévisser l'ampoule du plafonnier d'une chambre d'hôtel ou de
n'importe quel espace et y installer la vôtre sur laquelle est gravée une pièce
de votre appartement. Lorsque vous appuyez sur l'interrupteur, les ombres de
votre intérieur se projettent sur les murs.
Le second visuel, "Panorama", est la
photographie panoramique que j'ai réalisée chez des collectionneurs puis que
j'ai ensuite gravée sur l'ampoule.
Panorama , 2003 © Barbara Noiret |
On peut voir que dans votre travail, l'espace et le temps jouent toujours
un rôle important. Peut-on expliquer notre réalité à travers notre connaissance
consciente ?
Chacun est plus ou moins réceptif à différentes choses, pour ma part l’espace et le temps sont toujours mes premiers éléments de travail. Je ressens les espaces, j’ai besoin de m’immerger dans un lieu, de le comprendre, d’en relever les contours et révéler les incohérences pour que les choses opèrent. Avec les années, c’est aussi en m’intéressant à ses usagers que mon travail s’est amplifié ; l’atelier est donc un lieu neutre et souvent source d’ennui pour moi, j’ai besoin de me confronter à des espaces différents et d’être en lien avec les autres, en permanence.
Chacun est plus ou moins réceptif à différentes choses, pour ma part l’espace et le temps sont toujours mes premiers éléments de travail. Je ressens les espaces, j’ai besoin de m’immerger dans un lieu, de le comprendre, d’en relever les contours et révéler les incohérences pour que les choses opèrent. Avec les années, c’est aussi en m’intéressant à ses usagers que mon travail s’est amplifié ; l’atelier est donc un lieu neutre et souvent source d’ennui pour moi, j’ai besoin de me confronter à des espaces différents et d’être en lien avec les autres, en permanence.
Sommes-nous prisonniers de nos sens?
Les sens sont pour ma part une réalité quotidienne qui guident aussi mon travail. Ils me permettent de m’évader, de voyager dans le passé ; quoi de plus merveilleux qu’un objet ou une odeur nous rappelle des souvenirs ?
Les sens sont pour ma part une réalité quotidienne qui guident aussi mon travail. Ils me permettent de m’évader, de voyager dans le passé ; quoi de plus merveilleux qu’un objet ou une odeur nous rappelle des souvenirs ?
Sur quels projets travaillez-vous actuellement ?
Je travaille sur différents projets photographiques : une série réalisée en Crête au printemps dernier, une installation photographique faite avec de la poussière, et une nouvelle exposition pour fin 2017 mêlant photographie, installation et sculptures lumineuses pour une galerie d’art contemporain à Berlin.
Je travaille sur différents projets photographiques : une série réalisée en Crête au printemps dernier, une installation photographique faite avec de la poussière, et une nouvelle exposition pour fin 2017 mêlant photographie, installation et sculptures lumineuses pour une galerie d’art contemporain à Berlin.
Parallèlement, je travaille sur 5 projets de scénographies d’ici 2018 :
trois pour le théâtre, un pour un chœur dans une église, un autre pour un
carnaval à l’échelle d’une ville. Cette nouvelle activité s’inscrit dans la
continuité de mon travail d’artiste sur l’espace et la projection en
« trompe-l’œil ».
Pourriez-vous nous expliquer un rêve ou un souvenir
d'enfance?
Un souvenir d’enfance souvent raconté par ma mère : je devais avoir 4 ans. Mon oncle avait dessiné et construit un grand meuble qui séparait la chambre en deux parties ; une partie sertie de placards et niches pour le rangement, l’autre recouverte de peinture tableau couleur verte, pour délimiter l’espace jeu. Je passais mes journées à dessiner sur ce tableau à la craie, mais un jour cet espace de dessin ne suffit pas, je souhaitais expérimenter l’espace dans son intégralité, les autres murs, la moquette… Si bien que les craies me furent confisquées…
Un souvenir d’enfance souvent raconté par ma mère : je devais avoir 4 ans. Mon oncle avait dessiné et construit un grand meuble qui séparait la chambre en deux parties ; une partie sertie de placards et niches pour le rangement, l’autre recouverte de peinture tableau couleur verte, pour délimiter l’espace jeu. Je passais mes journées à dessiner sur ce tableau à la craie, mais un jour cet espace de dessin ne suffit pas, je souhaitais expérimenter l’espace dans son intégralité, les autres murs, la moquette… Si bien que les craies me furent confisquées…
Alors j’ai entrepris de déchirer des petits morceaux d’un à deux cm de
tapisserie rose à fleurs, pour en prélever du plâtre, et poursuivre mes
dessins… puis je « recollais » les petits lambeaux de tapisserie avec
ma salive pour ne pas me faire repérer, jusqu’au jour où je fus prise la main
dans le sac, ou plutôt la figure couverte de plâtre !
Un entretien de Juan Carlos Romero
Toutes les photos © Barbara Noiret
Courtesy de Barbara Noiret
Tous les droits sont réservés